Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du danger que vous avez fait courir à votre position personnelle. Et puis, à votre âge demander cent mille francs pour une corruption ! Ils vont répandre que vous en mettez au moins le tiers dans votre poche.

— Ç’a été ma première pensée. Il m’en vient une seconde : quand quelqu’un agit pour des ministres, ce n’est pas de l’adversaire qu’il a peur, mais des gens qu’il sert. C’est ainsi que les choses marchaient à Constantinople dans le bas-empire. Si je n’avais rien fait et écrit de belles lettres, j’aurais encore sur le cœur la boue de Blois. Vous m’avez vu faible.

— Eh bien ! vous devriez me haïr et m’éloigner du ministère. J’y songeais.

— Je trouve au contraire la douceur de pouvoir maintenant tout vous dire, et je vous supplie de ne pas m’épargner.

— Je vous prends au mot. Ce petit ergoteur de Séranville doit être bouffi de rage contre vous, car enfin vous faites son métier depuis deux jours, et lui écrit des centaines de lettres et dans la réalité ne fait rien. J’en conclus qu’à Paris il sera loué et vous blâmé. Mais quoi qu’il vous fasse ce soir, ne vous mettez pas en colère. Si nous étions au Moyen Âge, je craindrais pour vous le poison, car je vois dans ce petit sophiste la rage de l’auteur sifflé.