Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/243

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de grâces du pauvre docteur de campagne. En vérité, ce sera là une belle victoire ! Pendant qu’ils prenaient des leçons de beau langage et d’art de parler sans rien dire à l’Athénée ou à l’Académie française, moi je visitais des chaumières dans la montagne couverte de neige, et j’apprenais à connaître les besoins et les vœux du peuple. Je suis ici le représentant de cent mille Français non électeurs auxquels j’ai parlé dans ma vie, mais ces Français ont grand tort, ils sont peu sensibles aux grâces. »

……………………

Un jour, Lucien fut bien surpris en voyant entrer dans son bureau M. Du Poirier, dont il avait remarqué le nom parmi les députés élus. Lucien lui sauta au cou et les larmes lui vinrent aux yeux.

Du Poirier était décontenancé. Il avait hésité pendant trois jours à venir au bureau de Lucien ; il avait peur, le cœur lui avait battu violemment avant de se faire annoncer chez Leuwen. Il tremblait que le jeune officier ne sût l’étrange tour qu’il lui avait joué pour le faire déguerpir de Nancy.

« S’il le sait, il me tue. » Du Poirier avait de l’esprit, de la conduite, du talent pour l’intrigue, mais il avait le malheur de manquer de courage de la façon la plus