Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/313

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Les flots de sensations nouvelles produites par un succès si étonnant faisaient un peu perdre terre au bon sens de M. Leuwen, et c’est ce qu’il avait honte d’avouer, même à sa femme. Après des discours infinis, M. Leuwen ne put plus nier la dette.

— Eh bien ! oui, dit-il enfin, j’ai un accès d’ambition, et ce qu’il y a de plaisant, c’est que je ne sais pas quoi désirer.

— La fortune frappe à votre porte, il faut prendre un parti tout de suite. Si vous ne lui ouvrez pas, elle ira frapper ailleurs.

— Les miracles du Tout-Puissant éclatent surtout quand ils opèrent sur une matière vile et inerte. Je fais Grandet ministre, ou du moins je l’essaie.

— M. Grandet ministre ! dit madame Leuwen en souriant. Mais vous êtes injuste envers Anselme ! Pourquoi ne pas songer à lui ?

(Le lecteur aura peut-être oublié qu’Anselme était le vieux et fidèle valet de chambre de M. Leuwen.)

— Tel qu’il est, répondit M. Leuwen avec ce sérieux plaisant qui lui donnait tant de plaisir[1], avec ses soixante ans,

  1. Humour.
        Définition de l’humour qui me vient le 7 février [1835] : le sérieux qui donne du plaisir à qui s’en sert.