Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/402

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bientôt tout le poids de son corps : elle était profondément évanouie.

Lucien était embarrassé, mais point touché. Son embarras venait uniquement de la crainte de manquer à ce précepte de sa morale : ne faire jamais de mal inutile. Il lui vint une idée, bien ridicule en cet instant, qui coupa court à tout attendrissement. L’avant-veille, on était venu quêter chez madame Grandet, qui avait une terre dans les environs de Lyon, pour les malheureux prévenus du procès d’avril, que l’on allait transférer de la prison de Perrache à Paris par le froid, et qui n’avaient pas d’habits[1].

— Il m’est permis, messieurs, avait-elle dit aux quêteurs, de trouver votre demande singulière. Vous ignorez apparemment que mon mari est dans l’État, et M. le préfet de Lyon[2] a défendu cette quête. »

Elle-même avait raconté tout cela à sa société. Lucien l’avait regardée, puis avait dit en l’observant :

— Par le froid qu’il fait, une douzaine de ces gueux-là mourront de froid sur leurs charrettes ; ils n’ont que des habits d’été, et on ne leur distribue pas de couvertures.

  1. Voir les journaux du commencement de mars 1835.
  2. Gasparrin.