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ŒUVRES DE STENDHAL.

de les présenter au vainqueur. Ils devaient réciter des harangues à la louange de ce vainqueur (quel supplice pour des gens de lettres envieux !) ; mais ce n’était pas là tout le danger à courir ; quand les ouvrages paraissaient trop indignes du concours auquel on avait eu l’audace de les présenter, les malheureux auteurs étaient obligés d’effacer leurs productions avec la langue, ou à tout le moins avec une éponge. Ils étaient ensuite fustigés et plongés dans le Rhône.


— Lyon, le 22 mai.

Je traverse tous les jours ce triste hôtel de ville de Lyon, bâti en 1650, qui a l’air si sot, si lourd, tellement insignifiant, et n’en est pas moins fort estimé dans le pays. Ne serait-ce pas que cet édifice est vraiment romantique ? N’est-ce pas là, à peu près, la physionomie que doit porter un maire de province, pour être respecté de ses administrés, et ne pas leur sembler une mauvaise tête ?

Jules Hardouin-Mansard rétablit la façade de cet hôtel de ville brûlé en 1674 : je voudrais la rétablir de nouveau en copiant la façade d’un des beaux palais de Venise.

Venise est si malheureuse et Lyon si riche, qu’il serait possible d’acheter un palais de Venise, par exemple le palais Vendramin. On numéroterait les pierres de la façade et la navigation les amènerait à Lyon.

Sous le vestibule de cet hôtel de ville, et contre le mur à gauche, on voit le Rhône, statue colossale qui s’appuie sur un lion rugissant et sur une rame. Il a l’air furieux : à ses côtés est un énorme saumon. Il n’y a rien à désirer ; cela est parfait.

Vis-à-vis la grosse statue du Rhône, est une grosse statue de la Saône, également appuyée sur un lion. Ces deux statues, de Guillaume Coustou, décoraient la place Bellecour et feraient bien d’y retourner. Il faut au sculpteur une science profonde et surtout un caractère hardi, pour faire des statues colossales. Faute de quoi, elles ont l’air d’une miniature vue avec une loupe.