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ŒUVRES DE STENDHAL.

qui reçoivent les soies en gages, et prêtent de l’argent à six pour cent à qui apporte de la soie.

Tous les négociants du Midi savent que le roi de Sardaigne, Charles-Albert, a ouvert deux emprunts depuis son avènement au trône. Le montant du second, dit emprunt de sainte Hélène, est en entier dans ses coffres, et servirait en cas d’exil. Un ministre des finances, qui se donne la peine de penser, a proposé au roi de prêter cet argent aux négociants ses sujets, qui donneraient des soies en nantissement.

Les Suisses, dont le bon sens rêve sans cesse au moyen de gagner des écus neufs, se sont imposé des droits de douane fort modérés. Les Allemands, moins éclairés, et d’ailleurs encore infatués de leurs chaînes, ont pourtant un certain instinct de nationalité qui les a conduits à l’association pour les douanes ; c’est encore un malheur pour les produits de Lyon.

Il faut que cette grande ville renonce peu à peu à fournir des étoffes de soie à l’étranger. La fausse direction commerciale essayera-t-elle de lutter contre la nécessité ? Non, par paresse elle ne fera rien. Le gouvernement doit se borner à donner de l’occupation aux vieux ouvriers en soie qui manquent d’ouvrage, et à décourager les jeunes gens de seize ans, qui à Lyon voudraient se faire ouvriers en soie.

Le journal de Lyon devrait expliquer tous les quinze jours comme quoi, dans tous les coins de l’Europe, on a l’insolence de fabriquer des soieries. Le très-beau seul restera à Lyon, et encore à la condition de placer les ouvriers dans les villages environnants, hors de la portée de l’octroi, que l’Europe ne veut plus rembourser.

Quand je sens que l’ennui me gagne à Lyon, je prends un cabriolet et m’en vais à Chaponost voir les montagnes de la Suisse et les arcades romaines. Ces ruines si insignifiantes élèvent l’âme et la consolent.