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ŒUVRES DE STENDHAL.

statue antique, c’est une cuisse de cheval en bronze doré ; ce fragment a une histoire que voici.

Depuis longtemps les bateliers et les pêcheurs avaient remarqué dans la Saône, du côté du pont d’Ainay, une sorte de borne qu’ils appelaient le tupin de fer, c’est-à-dire le pot de fer rompu. Les pécheurs l’évitaient pour ne pas déchirer leurs filets ; les bateliers, au contraire, y accrochaient leurs crocs pour s’aider à remonter la rivière.

Le 4 février 1766, les eaux étant très-basses et fortement gelées, un constructeur de barques, appelé Laurent, chercha à arracher le tupin de fer. Il se fit aider par un de ses amis. Comme ils n’étaient pas assez forts, ils appelèrent plusieurs portefaix ; et à la fin, après l’avoir ébranlée à l’aide d’un câble, ils arrachèrent cette jambe du cheval, qui probablement tenait au corps même du cheval. Ils l’offrirent à un bourgeois de Lyon pour dix-huit livres que celui-ci refusa de donner ; alors ils l’apportèrent à l’hôtel de ville, et reçurent deux louis du prévôt des marchands.

Il est singulier qu’on n’ait pas eu l’idée de fouiller en cet endroit, où souvent l’été la rivière est fort basse. On pourrait employer un bâtardeau et une petite pompe à vapeur.

Le bronze doré de ce fragment peut avoir une ligne d’épaisseur, l’intérieur a été rempli avec du plomb. Le bronze n’est pas jeté d’une seule fonte ; il est composé de petites parties qui sont taillées en queue d’aronde et s’emboîtent l’une dans l’autre. C’est ainsi qu’est travaillé le bras colossal et du plus beau style que l’on a trouvé récemment dans la Darse de Civita-Vecchia, et qui est à Rome au musée du Vatican.

Mais, avant de m’occuper du taurobole, j’avais couru à la salle où sont exposées les fameuses tables de bronze qui nous ont transmis le discours de Claude au sénat. Elles sont parfaitement placées. Je les considère longtemps avec un enthousiasme ridicule, j’en conviens. Le but du discours de l’empereur Claude était de faire accorder aux Gaulois le droit d’admission dans le