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ŒUVRES DE STENDHAL.

riture tous les jours, vous aurez une armée anglaise excellente.

La meilleure armée qui ait jamais existé sans enthousiasme pour rien, notez ce point, si consolant pour certaines gens, ce fut l’armée anglaise qui se battit à Toulouse. Avec une pareille armée et des millions fournis par les privilégiés de tous les pays, la Russie pourrait anéantir la liberté en Europe.

Chaque homme qui se battit à Toulouse avait une entière confiance dans son voisin et un respect sans bornes pour son colonel ; il y avait dix ans que les soldats combattaient sous les mêmes généraux : de plus ils étaient sûrs des pays qu’ils laissaient derrière eux.

L’armée anglaise de Waterloo ne connaissait pas ses généraux et était bien inférieure à celle de Toulouse. « Toutefois l’armée prussienne perdit le quart de son monde en marchant de Waterloo à Paris (c’est le duc de Wellington qui parle), et l’armée anglaise ne perdit pas deux cents hommes. L’armée prussienne fut contrainte d’évacuer certains départements de la France, parce qu’elle ne pouvait pas y vivre ; les corps anglais qui remplacèrent les régiments prussiens y subsistèrent fort bien, grand effet de la discipline, c’est-à-dire des coups de bâton. »

Le maréchal Davoust devait livrer bataille sous Paris ; que pouvait-on perdre de plus en perdant la bataille ? Mais dans le malheur, le Français le plus brave perd la netteté de son esprit ; ce courage qui ne consiste pas uniquement à se faire tuer lui manque net.

Anecdote plaisante : dans la rue Lepelletier, M. Napi force un officier étranger à lui céder son cabriolet et à souffrir exactement la même insulte qu’il en avait reçue.

Le colonel Fitz-Clarence est un bon officier, fort brave et souvent blessé ; mais enfin il paraît qu’on n’est pas impunément fils naturel d’un roi. Un jour, à la table commune du régiment (the mess), un jeune cornette avait entrepris de découper un faisan et s’en tirait fort mal.

— J’ai toujours oui dire à mon père, dit le colonel, fils d’un