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ŒUVRES DE STENDHAL.

crite et ennuyeux. Après la révolte, ou pourra donner une seconde édition plus complète, si dans l’intervalle personne n’a mieux fait.

Vous rappelez-vous notre enthousiasme pour les Grecs ? Qui songe aujourd’hui à ces gens-là ? Et de plus nous avons fait de belles choses en leur faveur. Un petit Bavarois dévot fait pendre les braves guerriers de l’insurrection.

On parlait beaucoup hier à Vienne et à Saint-Vallier d’un jeune paysan que la Cour d’assises vient d’acquitter. Berger dans une ferme, il était devenu amoureux d’une fille fort belle, mais qui possédait deux arpents de vignes, et à laquelle il ne pouvait prétendre par cette raison. Elle avait été promise à un autre jeune homme du même pays, plus riche que lui. Un jour, en gardant ses bestiaux, le berger l’attendit, et lui tira un coup de fusil dans les jambes. La blessure occasionna une violente hémorrhagie, la jeune fille mourut.

On arrêta le jeune homme, qui donnait les signes de la plus vive douleur.

— Vouliez-vous la tuer ? lui dit le juge instructeur.

— Eh ! non, monsieur.

— Vouliez-vous exercer sur elle une vengeance cruelle, parce qu’elle vous refusait ?

— Non, monsieur.

— Quels étaient donc vos motifs ?

— Je voulais la nourrir.

Le malheureux avait pensé qu’en estropiant celle qu’il aimait, personne ne voudrait plus se charger d’elle, et qu’elle lui appartiendrait ! Il est acquitté ; les anciens parlements l’auraient condamné à la roue. La mode actuelle de ne jamais condamner à mort, même pour les assassinats les plus affreux (par exemple, l’empoisonnement réitéré d’un mari par sa femme, 1856), a quelquefois d’heureux résultats, quoique fort absurde.