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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

chevaux de renfort qu’il était obligé de prendre. Voici le degré de notre civilisation en fait de routes : en plaine, en France, un cheval tire maintenant trente quintaux.


— Valence, le 11 juin.

La bonhomie, le naturel que j’avais déjà cru remarquer à Vienne éclatent bien plus encore à Valence ; nous voici tout à fait dans le Midi. Je n’ai jamais pu résister à cette impression de joie.

C’est l’antipode de la politesse de Paris, qui doit rappeler avant tout le respect que se porte à elle-même la personne qui vous parle, et celui qu’elle exige de vous. Chacun ici, en prenant la parole, songe à satisfaire le sentiment qui l’agite, et pas le moins du monde à se construire un noble caractère dans l’esprit de la personne qui écoute, encore moins à rendre les égards qu’il doit à la position sociale de cette personne. C’est bien ici que M. de Talleyrand dirait : On ne respecte plus rien en France.

Une certaine joie native serpente dans les actions de ces hommes du Midi, qui sembleraient si grossiers à un jeune homme à demi poitrinaire élevé dans la bonne compagnie de Paris.

J’erre dans cette petite ville sous un soleil ardent. Je monte à la citadelle commencée par François Ier ; belle vue. Un vieux caporal méfait remarquer sur l’autre rive du Rhône la côte de Saint-Péray, patrie du bon vin de ce nom. Le polygone, remarquable aujourd’hui par ses beaux platanes, me fait penser à la jeunesse de Bonaparte. La femme la plus distinguée de la ville accueillit avec bonté le jeune lieutenant et devina son génie. Elle consola sa vanité qui souffrait cruellement ; ses camarades avaient des chevaux, des cabriolets, et la petite pension promise par sa famille était mal payée. Toutefois cette famille se décidait au pénible sacrifice de vendre une vigne pour se mettre en état de payer cette pension.

La faiblesse de Napoléon pour l’aristocratie remontait au salon de madame du Colombier (raconté par le général Duroc). C’est