Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/212

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exécuté sous la direction du bon roi René. Les figures sont fort laides, et m’ont rappelé le style allemand.

J’ai passé le Rhône pour voir Villeneuve et sa belle tour. J’ai trouvé le tombeau gothique d’Innocent VI, une belle Descente de croix d’un maître italien, un Jugement dernier, et enfin l’admirable portrait de la marquise de Ganges en pénitente, par Mignard, cet excellent copiste des peintres d’Italie.


— Avignon, le 14 juin.

J’arrive de la fontaine de Vaucluse, si chère aux gens qui lisent les sonnets de Pétrarque ; mais on a fait tant de belles phrases sur ce lieu célèbre que je n’en dirai rien, si ce n’est que cette course prend dix heures.

En allant à Vaucluse, nous sommes descendus de cabriolet pour visiter l’église romane de la jolie petite ville de Thor. La porte orientale de cette église présente tous les ornements délicats que pouvait réunir la sculpture de la fin du douzième siècle.

J’oubliais de dire que j’ai rencontré à Villeneuve-lez-Avignon un de mes amis du Nivernais, malade de chagrin de ce qu’il ne peut aller voir l’Italie et les ruines de quelque ville antique. M. Bigilion s’est fait de ce plaisir une image exagérée ; son imagination lui peint quelque chose de sublime qui pendant plusieurs jours jette l’âme dans un ravissement continuel. L’an passé, il croyait avoir le loisir de faire un petit voyage à Rome, et dans cet espoir, d’après mes conseils, il avait lu Tite-Live[1]. C’est ce qui fait que je suis touché de ce désespoir, qu’ont fait naître mes phrases sur l’Italie.

Le mistral ayant un peu cessé, j’ai sacrifié un jour à mon ami ;

  1. Malgré certains petits esprits, qui ont mis des échasses à quatre ou cinq idées que M. de Beaufort publia en 1738, il y a juste un siècle, Tite-Live est encore la meilleure préparation à un voyage en Italie. Je cite de mémoire.