Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/258

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neurs, d’ailleurs fort polis, n’a pu me l’apprendre ; je reste donc avec ma conjecture : ces balles auront été lancées dans les guerres de religion. Mais sont-elles protestantes on catholiques ?

J’entends au bout du jardin une marche militaire ; j’approche de la balustrade, je vois des canonniers qui s’exercent autour d’un petit parc de douze ou quinze pièces. Je descends auprès des canons, et je découvre une tour ronde dont la base formée de gros blocs est évidemment un ouvrage des Romains ; à l’instant mon profond dégoût pour la ville a diminué de moitié. Je ne dis pas que ce sentiment soit juste, seulement il en est ainsi. En effet, six cent quinze ans avant l’ère chrétienne, Bourges était l’une des capitales des Gaulois. Bourges est l’ancienne Avaricum dont César fit le siège.

Je suis retourné rapidement à la cathédrale ; le portier, mon ami, m’a donné un guide de quinze ans que j’avais refusé plusieurs fois, et même avec humeur, et qui, malgré sa jeunesse, s’est fort bien acquitté de ses fonctions. Il sait par cœur les noms des cinq ou six choses à voir.

Il m’a conduit à la cour royale, établie dans l’hôtel de Jacques Cœur : rien n’est plus curieux. C’est un charmant ouvrage de la renaissance ; la cour, de forme très-allongée, est la plus jolie et la moins régulière du monde. À l’exception de quelques croisillons ou meneaux, qui ont été ôtés des fenêtres, on dirait que Jacques Cœur n’a quitté son palais que de la veille. Partout on voit ses armes parlantes, des cœurs comme ceux d’un dix de cœur. La chapelle surtout, ménagée au-dessus de la porte, et dont la fenêtre gothique figure une grande fleur de lis, est tout ce qu’on peut voir de plus joli dans ce genre contourné. On l’a coupée en deux par un plancher, pour le service des bureaux de la cour d’assises qui est aussi chez Jacques Cœur. À la voûte en ogive, un peintre italien a peint à fresque des figures d’anges qui semblent d’une miraculeuse beauté au milieu des atroces figures que le gothique donne à la race humaine ; c’est le style de l’école de Bologne.