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respect le portrait de Jacques Cœur ; il se trouve là pêle-mêle avec des cardinaux qui se donnèrent la peine de naître. Si jamais les habitants du Berry arrivent à cet excès de dépravation de dépenser de l’argent pour quelque chose qui ne rend aucun revenu, ils élèveront deux statues de bronze, l’une à Jacques Cœur, l’autre à Louis XI, tous deux nés à Bourges et gens de talent.

J’oubliais la bibliothèque, qui est fort mal placée dans quelques salles humides de l’archevêché. Heureusement, monseigneur ne veut point de ce voisinage immonde. Du reste, ce sage prélat ne devrait point s’effrayer du progrès des lumières : j’ai trouvé trois lecteurs au milieu de tous ces vieux bouquins, plus propres à arrêter l’essor de l’esprit humain qu’à lui donner des ailes. Il est évident que les bibliothèques des petites villes devraient se composer uniquement de la collection de tous les auteurs célèbres qu’on appelle le Panthéon, et qui ne coûte pas quinze cents francs. M. Guizot, à qui l’on ne peut refuser le mérite d’avoir fondé en France l’instruction publique, a donc eu raison de souscrire au Panthéon pour une somme de cent mille francs.

Le bibliothécaire de Bourges est un homme fort capable, autant qu’en peut juger mon ignorance ; je n’ai pas osé lui demander son nom. Il a fait une fort bonne copie du compte des dépenses occasionnées par la représentation d’un mystère. Remontons plus haut : rien n’était plus gai que les villes de France au cinquième siècle. Voyez les injures que le prêtre Salvien adresse à cette gaieté qui fait oublier l’enfer.

Au lieu de dîner dans ma triste auberge, comme aurait fait un voyageur vulgaire, je suis allé passer les deux dernières heures de mon séjour à Bourges à la cathédrale, et dans le joli jardin de l’archevêché qui l’avoisine. J’ai appris que monseigneur voudrait bien fermer ce jardin au public, sous prétexte qu’autrefois les archevêques seuls en avaient la jouissance.