Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/297

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La princesse a sonné avec fureur.

— Qu’on appelle mademoiselle Mélanie et mon cocher.

En un instant ils ont été devant elle. La princesse dit au cocher, qui est cet homme avec une barbe de dix-huit pouces que tout Naples admire :

— Regardez mademoiselle Mélanie.

Le cocher, se prenant la barbe avec les deux mains, a déclaré qu’il n’osait pas.

— Regardez-la, a répété la princesse d’un ton à faire trembler ; dites-moi si elle vous plaît. Nouvelles protestations de respect de la part du cocher.

— Eh bien ! vous l’épouserez demain.

Le cocher s’est mis à faire une quantité de signes de croix, et a fini par dire tout bas qu’il était marié.

— Retirez-vous, vous n’êtes qu’un sot, a repris la princesse. Que mademoiselle Mélanie se retire aussi, et ne reparaisse jamais devant mes yeux.

Le lendemain la princesse a dit au majordome de chercher un couvent où l’on déposerait la malheureuse Mélanie en payant d’avance sa pension pour dix ans.

Trois jours après, comme la princesse demandait au majordome le nom du couvent qu’il avait choisi, celui-ci a répondu d’un air politique :

— Cette aventure ferait anecdote en ce pays. Les grandes dames de Naples s’occupent beaucoup de ce qui se passe dans l’intérieur des couvents, où la plupart ont été élevées et conservent des relations. Tout le monde voudra voir la jeune personne exilée. Qui sait ? Comme elle est aussi fort jolie, on ira peut-être jusqu’à prononcer le mot ridicule de jalousie. Dans mon zèle extrême pour le service de Son Altesse, j’ai trouvé un jeune négociant français qui épouserait bien mademoiselle Mélanie.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Achard.

— Son nom commence-t-il par un H ou par un A ?