Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/310

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grâce au ciel, le présent voyage n’a aucune prétention à la statistique et à la science, j’en ferai grâce au lecteur, ainsi que dans les autres villes. Je saute aussi des idées que j’ai eues sur le paupérisme. La marine et l’armée devraient absorber tous les pauvres enfants de dix ans qui meurent faute d’un bifteck[1]. J’explique l’association de Fourier aux personnes qui me faisaient voir un de ces hôpitaux ; — leur étonnement naïf. Le mérite non prôné par les prix Monthyon ou par les journaux reste inconnu à la province. De là, nécessité pour l’homme de mérite de venir à Paris, autrement il s’expose à réinventer ce qui est déjà trouvé.

Saint-Pierre, la cathédrale de Nantes, fut construit, pour la première fois, en 555, et par saint Félix ; rien ne prouve ces deux assertions. Des fouilles récentes ont montré qu’une partie de l’église s’appuie sur un mur romain ; mais, dans l’église même, je n’ai rien vu d’antérieur au onzième siècle. Le chœur a été arrangé au dix-huitième, c’est tout dire pour le ridicule. Le féroce Carrier, scandalisé du sujet religieux qui était peint à la coupole, la fit couvrir d’une couche de peinture à l’huile que dernièrement l’on a essayé d’enlever.

Le bedeau m’a fait voir une petite chapelle dont les parois ressemblent tout à fait à un ouvrage romain, ce sont des pierres cubiques bien taillées.

La nef actuelle de Saint-Pierre fut bâtie vers 1434, et remplaça la nef romane qui menaçait ruine ; mais les travaux s’arrêtèrent vers la fin du quinzième siècle, ce qui a produit l’accident le plus bizarre. La partie gothique de l’église étant infiniment plus élevée que le chœur qui est resté roman et timide, le clocher de l’ancienne église est dans la nouvelle. Mais n’importe ; rien de plus noble, de plus imposant que cette grande nef. Il faut la voir sur

  1. La France a autant d’habitants qu’elle peut produire ou acheter de fois quatre quintaux de blé. Il naît toujours dans un pays plus d’enfants qu’il n’en peut nourrir. La société perd la nourriture de tous les enfants qui meurent avant de pouvoir travailler. Le lecteur admet-il ces idées, qui à Rhodez sembleraient de l’hébreu ?