Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/315

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l’on gronde tout en mangeant ? Pour moi, je ne m’ennuie jamais au café ; mais aussi il a de l’imprévu, il n’est point à mes ordres.

Ce matin à six heures, comme j’allais prendre le bateau à vapeur pour Paimbœuf et Saint-Nazaire, ce café sur lequel j’avais compté m’a présenté ses portes hermétiquement fermées.

L’embarquement a été fort gai : le bateau à vapeur était arrêté au pied de cette ligne de vieux ormeaux qui donne tant de physionomie au quai de Nantes. Nous avions sept ou huit prêtres en grand costume, soutane et petit collet ; mais ces messieurs, plus sûrs des respects, sont déjà bien loin de la dignité revêche qu’ils montrent à Paris. À Nantes, personne ne fait de plaisanteries à la Voltaire ; lit-on Voltaire ? Les abbés de ce matin parlaient avec une grande liberté des avantages et des inconvénients de leur état pour la commodité de la vie.

Les environs de la Loire, au sortir de Nantes, sont agréables : on suit des yeux pendant longtemps encore la colline sur laquelle une partie de la ville a l’honneur d’être bâtie ; elle s’étend en ligne droite toujours couverte d’arbres et s’éloignant du fleuve. Ces environs fourmillent de maisons de campagne ; l’une d’elles, construite depuis peu sur un coteau au milieu de la Loire, par un homme riche arrivant de Paris, fait contraste avec tout ce qui l’entoure. Ce doit être une copie d’une des maisons des rives de la Brenta : il y a du Palladio dans la disposition des fenêtres.

L’arsenal d’Indret, où la marine fait de grandes constructions, donne l’idée de l’utile, mais n’a rien de beau. On aperçoit en passant de grands magasins oblongs, assez bas et couverts d’ardoises, et force bateaux à vapeur dans leurs chantiers ; on voit s’élever en tourbillonnant d’énormes masses de fumée noire. Il y a là un homme d’un vrai mérite, M. Gingembre ; mais, comme M. Amoros à Paris, il doit dévorer bien des contrariétés.

Au total, ce trajet sur la Loire ne peut soutenir l’ombre de la comparaison avec l’admirable voyage de Rouen au Havre. En partant de Nantes, nous avions un joli petit vent point désagréa-