Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/318

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Un monsieur fort âgé, qui s’est embarqué à Paimbœuf, et qui parle fort bien de la Vendée, me raconte que le 29 juin 1795 cinquante mille Vendéens, sous les ordres de Cathelineau, qu’ils venaient d’élire général en chef pour apaiser les jalousies des véritables généraux, attaquèrent Nantes, où commandaient Canclaux et Beysser. L’attaque eut lieu par la rive droite de la Loire ; le combat commença sur neuf points à la fois, il y eut de part et d’autre des prodiges de valeur. Enfin l’artillerie républicaine, que les canonniers vendéens, simples paysans, ne surent pas démonter, fit un ravage horrible dans les rangs de ces braves gens : repoussés de toutes parts, ils opérèrent leur retraite emportant avec eux leur général en chef, Cathelineau, blessé à mort. Dans cet assaut, la garde nationale de Nantes se montra très-ferme. La guerre civile dura encore assez longtemps dans ces environs, et ne finit que le 29 mars 1795, jour où Charrette fut fusillé à Nantes ; il y eut d’étranges trahisons que je ne veux pas raconter, et que d’ailleurs je connais depuis trois jours.

J’écoutais ce récit avec d’autant plus d’intérêt, que, quoi que ce monsieur voulût dire, il était évident pour moi, par plusieurs particularités, que j’avais affaire à un témoin oculaire. Je ne lui ai point caché qu’un des meneurs de la Convention, qui venait souvent chez mon père, nous avait dit plusieurs fois qu’à deux époques différentes, et dont il donnait la date précise, la Vendée avait pu marcher sur Paris et anéantir la République. Il ne manqua à ce parti qu’un prince français, qui se mît franchement à sa tête, en imitant d’avance madame la duchesse de Berry.


— Nantes, le 28 juin.

Hier, vers les quatre heures, par une soirée superbe, comme le bateau, remontant rapidement la Loire, passait en revue les maisons de campagne et les longues files de saules et d’acacias monotones qui peuplent les environs du fleuve, on arrête la machine pour donner audience à un petit bateau qui amène des voyageurs. Le premier qui paraît sur le pont est un prêtre en