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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

route d’Avignon, mon voisin, gros garçon dont je ne sais pas le nom, et auquel je parlais de choses et d’autres (locution de Valence), me dit tout à coup :

— Il faut que vous soyez bien bête, monsieur, de dépenser votre argent à courir la poste d’ici à Avignon ! Fourrez-moi votre voiture sur le bateau qui passe ici demain matin à dix heures, et à trois vous êtes en Avignon.

Ce gros garçon de trente ans aurait été bien étonné si je lui eusse répondu :

— Gardez, monsieur, les qualifications offensantes pour les choses que vous faites vous-même. Je vous rends grâce de vos avis ; mais je vous prie de les garder pour vous, ou de me les donner en d’autres termes.

Je me suis fait homme du Midi, et en vérité je n’ai pas eu grand’peine. J’ai dit tout simplement que je profiterais du conseil, et, après dîner, j’ai offert à mon nouvel ami des cigares, tels que personne peut-être n’en eut jamais de semblables à Valence. Il accepte avec joie, mais bientôt il m’avoue qu’ils lui semblent bien faibles.

— Tâtez-moi de ceci, m’a-t-il dit, en me mettant sous le nez des cigares de tabac sarde, je crois, et d’une âcreté exécrable.

Il m’a parlé de Mandrin. Ce brave contrebandier ne manqua ni d’audace ni d’esprit, et, à ce titre, sa mémoire vit