Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
MÉMOIRES D’UN TOURISTE

emparés malgré moi : j’enrageais, mais ne disais mot. Joseph, plus près de la nature, a donné et reçu quelques bonnes poussées.

En entrant à Avignon, on se croit dans une ville d’Italie. Les hommes du peuple, au regard ardent, au teint basané, la veste jetée sur l’épaule, travaillent à l’ombre ou dorment couchés au milieu de la rue ; car, ici comme aux bords du Tibre, on ne connaît pas le ridicule, et si l’on songe au voisin, c’est pour le regarder en ennemi, et non pour craindre une épigramme.

J’ai pris mon logement à l’hôtel du Palais-Royal. J’étais couvert de poussière ; le décrotteur, en me rendant ses petits services, a changé toutes mes pensées.

— « Savez-vous, monsieur, que c’est dans cet hôtel qu’ils ont tué le maréchal Brune en 1815 ? Le maître de la maison ne veut pas qu’on en parle ; mais le domestique Jean vous fera tout voir, si vous le lui demandez. » J’ai eu cette triste curiosité, je suis monté sur le plancher qui recouvre la salle dans laquelle le maréchal fut tué à coups de fusil ; mais je ne rendrai pas à qui me lit le mauvais service de raconter en détail ce que j’ai vu. Ce plancher était rempli de puces : oserai-je avouer que cette saleté a augmenté mon horreur pour l’action à laquelle je songeais ? Je voyais plus clairement la grossièreté des