Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
418
MÉMOIRES D’UN TOURISTE

va passer six semaines toutes les années. Pendant le reste du temps, il parcourt les petites villes et bourgs de France avec une charrette attelée de deux chevaux et chargée de soieries. En effet, en sortant, j’ai vu son écriteau en toile accroché devant la porte d’une sorte de bûcher faisant boutique au besoin, qu’il m’a dit que les aubergistes tiennent à la disposition des marchands forains tels que lui.

Avant 1814, ajoutait-il, un bourgeois de petite ville venait voir mes marchandises avec sa femme ou sa maîtresse, marchandait deux minutes et m’achetait un objet de trois cents francs ; maintenant il faut parler un gros quart d’heure pour vendre un article de vingt-cinq francs : je ne place rapidement et beaucoup que des écharpes de cinq ou six francs ; les Français sont devenus égoïstes. Ce mot est le premier terme impropre dont se soit servi mon compagnon de déjeuner pendant une conversation que j’ai fait durer une heure et demie. Il me dit qu’il y a maintenant plus de marchands que d’acheteurs. (C’est là le grand inconvénient de la civilisation actuelle : plus de médecins que de malades, plus d’avocats que de procès, etc.)

J’ai quitté cet homme si distingué le plus tard que j’ai pu. Le pays devient plus