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LE FEU SACRÉ

1400 ; ils héritèrent du feu que les républiques du moyen âge venaient de laisser dans les cœurs. Ce feu sacré, cette générosité passionnée, espirent dans le poëme du Dante, commencé l’an 1300, et qui forma l’âme et l’esprit de Michel-Ange.

Que trouve-t-on en France en l’an 1300, en l’an 1400 ? de petits tyrans qui se font gloire de ne pas savoir lire et des serfs hébétés. Voyez-en la conséquence dans l’état moral des paysans du Berry, du pays de Dombes, etc. Ils croient aux sorciers, et ne lisent pas de journaux.

Il eut fallu que les arts naquissent en France en même temps que le Cid. Les guerres de religion avaient enflammé les âmes étiolées par la longue et ignoble féodalité ; les intrigues de la Fronde avaient aiguisé les esprits, les Français eussent fait de belles choses. Mais, en dépit de la sottise exprimée par ces mots : Siècle de Louis XIV, ce prince éteignit bien vite le feu sacré qui lui faisait peur. Cette passion folle qui adore la patrie et tout ce qui est grand enflammait Corneille, et ce n’était plus qu’une vue de l’esprit pour l’élégant Racine. La dernière dupe de cette générosité, désormais ridicule, fut le maréchal de Vauban.

La Bruyère, il est vrai, protégé par Bossuet, nous montre la disparition totale