Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/51

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une nuit, assis sur ma chaise, devant le corps de garde du Château-d’Eau. Je pesais, j’analysais chaque situation ; je me demandais bien sérieusement : à telle époque, par exemple, quand nous renouvelâmes notre mobilier et de l’acajou passâmes au palissandre, étais-je heureux ?

Le résultat que le lecteur prévoit fut que, moins d’un an après la mort de ma femme, pour qui j’avais été un fort bon mari, comme elle fut une excellente femme pour moi, je m’aperçus d’une chose dont j’eus une bien grande honte d’abord : c’est qu’à l’exception du premier moment d’angoisse qui avait été terrible, j’étais beaucoup plus heureux depuis que j’étais seul. J’eus tant de honte de cette découverte, que je devins un coquin pour la première fois, je fus hypocrite ; et deux jours après je déclarai à mon beau-père, d’un ton presque tragique, que je garderais une fidélité éternelle à la femme adorable que le ciel m’avait enlevée.

— En ce cas, me répondit-il d’un air fort tranquille, il faut renvoyer Augustine, en lui donnant une gratification de cinquante écus, et prendre une gouvernante qui s’entende un peu mieux aux affaires du ménage ; car les choses ne peuvent durer ainsi : quand on met des draps blancs à mon lit les samedis, ils sont toujours humides.