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RACINE ET SHAKSPEARE

hier soir fin courant ? » Car il me semble que, lorsqu’on rencontre des gens tellement différents de nous, il y a péril à engager la discussion. Ce n’est point orgueil, mais crainte de l’ennui. À Philadelphie, vis-à-vis la maison habitée jadis par Franklin, un nègre et un blanc eurent un jour une dispute fort vive sur la vérité du coloris du Titien. Lequel avait raison ? En vérité, je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est que l’homme qui ne goûte pas Raphaël et moi sommes deux êtres d’espèces différentes il ne peut y avoir rien de commun entre nous. À ce fait, je ne vois pas le plus petit mot à ajouter.

Un homme vient de lire Iphigénie en Aulide de Racine et le Guillaume Tell de Schiller ; il me jure qu’il aime mieux les gasconnades d’Achille que le caractère antique et vraiment grand de Tell. À quoi bon discuter avec un tel homme ? Je lui demande quel âge a son fils, et je calcule à part moi à quelle époque ce fils paraîtra dans le monde et fera l’opinion.

Si j’étais assez dupe pour dire à ce brave homme : Monsieur, mettez-vous en expérience, daignez voir jouer une seule fois le Guillaume Tell de Schiller, il saurait bien me répondre comme le vrai classique des Débats : Non-seulement je ne verrai jamais jouer cette rapsodie tudesque et je ne la