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SECONDE PARTIE

au milieu du vif intérêt de nos circonstances politiques, je tiens que toute brochure qui a plus de cent pages, ou tout

    langue, qui est une chose de convention dans les tours non moins que dans les mots, et tâcher d’écrire comme Pascal, Voltaire et la Bruyère. Les nécessités et les exigences de messieurs les doctrinaires paraîtront aussi ridicules dans cinquante ans que Voiture et Balzac le sont maintenant. Voyez la préface de l’Histoire des ducs de Bourgogne.

    3o L’intérêt passionné avec lequel on suit les émotions d’un personnage constitue la tragédie : la simple curiosité qui nous laisse toute notre attention pour cent détails divers, la comédie. L’intérêt que nous inspire Julie d’Étanges est tragique. Le Coriolan de Shakspeare, est de la comédie. Le mélange de ces deux intérêts me semble fort difficile.

    4o À moins qu’il ne soit question de peindre les changements successifs que le temps apporte dans le caractère d’un homme, peut-être trouvera-t-on qu’il ne faut pas, pour plaire en 1825, qu’une tragédie dure plusieurs années. Au reste, chaque poëte fera des expériences à la suite desquelles il est possible que l’espace d’une année soit trouvé le terme moyen convenable. Si on prolongeait la tragédie beaucoup au delà, le héros de la fin ne serait plus l’homme du commencement. Napoléon affublé du manteau impérial en 1804 n’était plus le jeune général de 1796, qui cachait sa gloire sous la redingote grise, qui sera son costume dans la postérité.

    5o C’est l’art qu’il faut dérober à Shakspeare, tout en comprenant que ce jeune ouvrier en laine gagna cinquante mille francs de rente en agissant sur des Anglais de l’an 1600, dans le sein desquels fermentaient déjà toutes les horreurs noires et plates qu’ils voyaient dans la Bible, et dont ils firent le puritanisme. Une bonne foi naïve et un peu bête*, un dévouement parfait, une sorte de difficulté à être ému par les petits incidents et à les comprendre, mais en revanche une grande constance dans l’émotion et une grande peur de l’enfer, séparent l’Anglais de 1600 des Français de 1825. C’est cependant à ceux-ci qu’il faut plaire, à ces êtres si fins, si légers, si susceptibles, toujours