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RACINE ET SHAKSPEARE

poésie romantique, opposé à Racine, le dieu des classiques ; Shakspeare, dis-je, écrivait pour des âmes fortes, formées par les guerres civiles de la Rose rouge et de la Rose blanche.

Les cœurs anglais étaient alors ce que furent les nôtres vers l’an 1500, au sortir de ce sublime moyen âge, questi tempi della virtù sconosciuta, et les plus beaux de l’Italie. Nous étions des hommes alors ; nous applaudissions franchement à ce qui nous faisait plaisir. Maintenant nous nous laissons régler par des gens qui, sensibles à la seule vanité, loin d’exposer leurs âmes à toutes les passions, passent froidement leur vie à commenter de vieux auteurs. Ces âmes mortes ont l’excessive prétention de nous dicter orgueilleusement, à nous, âmes vivantes, ce que nous devons aimer ou haïr, siffler ou applaudir ; à nous, qui avons senti tant de fois l’amour, la haine, la jalousie, l’ambition, etc., tandis que les érudits n’ont senti que la petite vanité littéraire, la plus rapetissante, la plus vile, peut-être, des passions humaines.

Le peuple, qui va applaudir franchement à la Stadera ce qui le fait rire ou pleurer, est plus près du bon goût que nous, qui avons eu l’âme faussée par le précepteur di Casa.

Malgré les pédants, l’Allemagne et l’Angleterre l’emporteront sur la France ; Shakspeare, Schiller et lord Byron l’emportent sur Racine et Boileau. La dernière révolution, a secoué nos âmes. Toujours les arts font