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RACINE ET SHAKSPEARE

espagnoles font encore, dans le Milanais, la politesse de nos vieillards. Bientôt après, sous Louis XV, des manières plus gaies et plus libres de tout sentiment réprimèrent et finirent par faire disparaître tout enthousiasme et toute énergie. Voilà où en était en France la haute société en 1780. Qu’on me pardonne si je parle de la France ; les antiromantiques, peut-être sans s’en douter, car ils sont bien innocents, veulent nous donner tous les préjugés de la France.

Racine a travaillé pour ce peuple, à demi étiolé déjà sous Louis XIV par le despotisme de Richelieu. Tous les gens éclairés savent ce que Richelieu avait fait contre les lettres par l’Académie française. Ce prince des despotes inventa une douzaine de ressorts aussi puissants pour ôter aux Français l’antique énergie des Gaulois, et couvrir de fleurs les chaînes qu’il leur imposa. Il fut défendu de peindre dans la tragédie les grands événements et les grandes passions ; et c’est Racine, le poëte d’une cour efféminée, esclave, et esclave adorant ses chaînes, que les pédants veulent imposer à toutes les nations, au lieu de souffrir que l’Italien fasse des tragédies italiennes, l’Anglais des tragédies anglaises, et l’Allemand des tragédies allemandes !

Car voici la théorie romantique : il faut que chaque peuple ait une littérature particulière et modelée sur son caractère particulier, comme chacun de nous porte un habit modelé pour sa taille particulière. Si nous citons Shakspeare, ce n’est pas