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RACINE ET SHAKSPEARE

qui doivent animer le philosophe patient qui se voue au travail ingrat d’extraire de tous les livres approuvés, écrits dans une langue, le vocabulaire de cette même langue.

Les Florentins n’ont entrepris rien moins que de nous imposer la langue qu’on parle en Toscane, et non pas seulement la langue que parlent les gens bien nés, mais la langue que parlaient en 1300 les paysans et les ouvriers de la lie du peuple. Entreprise ridicule s’il en fut jamais ! Les Toscans ont oublié que le despotisme peut bien s’imposer, mais il ne se persuade pas. Que la Toscane ait une armée de cent mille hommes et conquière l’Italie, que, comme Guillaume le Conquérant l’imposa en Angleterre, elle exige que tous les actes publics, que tous les discours officiels soient écrits en toscan ; si la domination dure, elle parviendra, comme celle des Romains, à nous imposer presque entièrement sa langue, sinon son projet ne se sauve de l’odieux que par le ridicule extrême.

— Vous croyez donc l’Académie de la Crusca entièrement inutile ?

Le vieillard. — Je suis loin de là. Mais pour rendre mon idée sensible, et pour ne pas courir le risque de m’égarer dans une vaine théorie, permettez-moi de vous rappeler un fragment de l’histoire littéraire d’un peuple voisin. Mais il est tard aujourd’hui. Revenez demain.