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RACINE ET SHAKSPEARE

est une espèce d’algèbre et ne cherche que la vérité sans s’adresser aux passions.

Notre caractère national repousse toute imitation intime et profonde du français. Je puis donc citer sans danger une institution qui n’est pas leur littérature, mais qui tient de près à leur littérature, je parle de l’Académie française.

Le cardinal de Richelieu, ce prince des despotes des temps modernes, cet homme qui eût pu servir de modèle au secrétaire florentin parce qu’il eut à vaincre de plus grands obstacles que César Borgia et que la crainte de l’opinion publique lui rendait impossible l’emploi des moyens les plus commodes, le cardinal de Richelieu vit le caractère léger et moqueur des Français ; il vit que chez cette nation un trait ridicule décoché sur un homme le perd à jamais. Il lui fallait donc absolument une loi contre la liberté de la presse ; mais il fallait couvrir de fleurs cette chaîne inflexible. Profitant habilement des habitudes sociales de quelques savants obscurs, il créa l’Académie Française. Il donna pour protecteur à ce corps naissant le roi lui-même. Louis XIV connut l’avantage de cette institution pour mener ses vaniteux sujets. Il admit à sa familiarité Racine et Boileau. Dès lors, la dernière ambition des plus grands écrivains français fut d’être de l’Académie. Cette mode dure encore un peu, et il a fallu des maladresses énormes de la part des gouvernements pour diminuer la considération de ces paroles ma-