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DE QUELQUES OBJECTIONS

sous un nom de terre, et devenu fermier général, dut avoir dans le monde une existence[1] dont le modèle n’avait pas paru sous Louis XIV, dans ce siècle où les ministres eux-mêmes avaient commencé par n’être que des bourgeois. Un homme de la cour ne pouvait voir M. Colbert que pour affaires. Paris se remplit de bourgeois fort riches, dont les mémoires de Collé vous donneront la nomenclature : MM. d’Angivilliers, Turgot, Trudaine, Monticourt, Helvétius, d’Épinay, etc. Peu à peu ces hommes opulents et bien élevés, fils des grossiers Turcarets, commencèrent cette fatale opinion publique, qui a fini par tout gâter en 1789. Ces fermiers généraux recevaient les gens de lettres à leurs soupers, et ceux-ci sortirent un peu du rôle de bouffons qu’ils avaient rempli à la table des véritables grands seigneurs.

Les Considérations sur les mœurs, de Duclos, sont le Code civil de ce nouvel ordre de choses, dont les Mémoires de madame d’Épinay et de Marmontel nous ont laissé une description assez amusante. On y voit un M. de Bellegarde, qui, malgré son grand nom, n’est qu’un fermier général ; mais il mange deux cent mille francs par an, et son fils, élevé dans le même luxe que

    le boulevard des Italiens par les descendants des croisés, qui faisaient queue pour tâcher d’être admis au bal d’un banquier juif (M. de Rothschild). La matinée des nobles dames du faubourg Saint-Germain avait été employée à faire toute sorte de bassesses pour s’y faire prier.

  1. Mémoires de Collé.