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RACINE ET SHAKSPEARE

goût, au contraire, le ridicule donné à la manie du raisonnement sérieux[1].

L’odieux que nous fuyons aujourd’hui est d’un autre caractère ; il n’est de mauvais goût que lorsqu’il conduit au sentiment de la colère impuissante, et il passe pour fort agréable dès qu’il peut se produire sous la forme d’un ridicule amusant, donné aux gens du pouvoir. Même, plus le rang des personnes immolées au ridicule est auguste, plus le mot fait de plaisir, loin d’inspirer aucune crainte :

« Le conseil des ministres vient de finir, il a duré trois heures. — Que s’est-il passé ? — Il s’est passé trois heures. Ce vieux ministre imbécile ne veut pas ouvrir les yeux. — Eh bien ! qu’il les ferme[2]. »

Une conversation vive, plaisante, étincelante d’esprit, jouant toujours la gaieté et fuyant le sérieux comme le dernier des ridicules, après un règne d’un siècle, fut tout à coup détrônée vers 1786, par une discussion lourde, interminable, à laquelle tous les sots prennent part. Ils ont tous aujourd’hui leur jugement sur Napoléon, qu’il nous faut essuyer. Les courses à cheval, les visites en chenille et les occupations du matin cédèrent la place aux jour-

  1. S’il fut jamais un homme créé, par sa douceur, pour faire aimer la sagesse, ce fut sans doute Franklin ; voyez pourtant dans quel lieu singulier le roi Louis XVI fait placer son portrait, pour l’envoyer à madame la duchesse de Polignac. (Mémoires de madame Campan.)
  2. Miroir (petit journal fort libéral et très-spirituel), mars 1823.