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RACINE ET SHAKSPEARE

les hommes les plus aimables de l’Europe. Le courtisan, qui allait tous les matins lire son sort dans les yeux du roi, venait à son tour faire la destinée des gens qui lui faisaient la cour, et auxquels il communiquait les mêmes habitudes de pénétration. Cette habitude devint bientôt générale parmi tous les Français.

Le génie de Molière aperçut bien vite cette sagacité profonde de ses auditeurs, et il la fit servir à leurs plaisirs comme à sa gloire. Ses pièces sont remplies de scènes probantes, si j’ose parler ainsi, de scènes qui prouvent les caractères ou les passions des personnages qui y sont engagés. Ai-je besoin de rappeler Le pauvre homme ! si à la mode aujourd’hui ; ou le Grand Dieu ! pardonne-lui comme je lui pardonne[1] ; — le Sans dot d’Harpagon ; — le Mais qu’allait-il faire dans cette galère, des Fourberies de Scapin ; — le Vous êtes orfèvre, monsieur Josse ; — le Retire-toi, coquin, d’Orgon à son fils Damis, qui vient d’accuser le bon M. Tartuffe ? mots célèbres qui ont enrichi la langue.

C’est ce que beaucoup de littérateurs classiques appellent vis comica, sans songer qu’il n’y a rien de comique à voir Orgon maudire et chasser son fils, qui vient d’accuser Tartuffe d’un crime évident ; et cela parce que Tartuffe répond par des phrases volées au catéchisme et qui ne prouvent rien. L’œil aperçoit tout à coup une des profondeurs du cœur humain, mais une pro-

  1. Mort du pauvre vieillard Llorente, en 1823.