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RACINE ET SHAKSPEARE

rieure à toute objection, et non pas sur des ouï-dire ou des récits de valets, mais sur des preuves incontestables, sur des choses que le spectateur voit se passer sous ses yeux.

Le Ménechme de mauvaise humeur, dans la comédie de ce nom, est le misanthrope plaisant, et Regnard s’en est emparé. Mais ce pauvre Regnard, toujours gai, comme les mœurs de la régence ou de Venise, n’a guère de scènes probantes : elles lui auraient semblé ennuyeuses ou tristes.

Ces scènes donc, qui sont fortes, mais qui ne sont pas comiques, donnent un très-grand plaisir philosophique. Les vieillards aiment à les citer et rangent à la suite, par la pensée, tous les événements de leur vie, qui prouvent que Molière a vu juste dans les profondeurs du cœur humain. On songe souvent à ces scènes immortelles, on y fait sans cesse allusion, elles achèvent à tout moment nos pensées dans la conversation, et sont tour à tour des raisonnements, des axiomes ou des plaisanteries, pour qui sait les citer à propos. Jamais d’autres scènes n’entreront si avant dans les têtes françaises. En ce sens, elles sont comme les religions ; le temps d’en faire est passé. Enfin, il est peut-être plus difficile de faire de telles scènes que les scènes plaisantes de Regnard. Orgon, saisissant Tartuffe, au moment où celui-ci, après avoir parcouru de l’œil tout l’appartement, vient embrasser Elmire, offre un spectacle plein de génie mais qui ne fait pas rire. Cette scène frappe le spectateur, elle le frappe de stupeur,