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DE QUELQUES OBJECTIONS

faut pour charger un pistolet. Mais non, un homme tel que Valère a assez de courage moral pour aller chercher des émotions en Grèce et faire la guerre aux Turcs, lorsqu’il ne lui restera plus que cinq cents louis.

L’aimable Regnard, sachant bien qu’il n’y a jamais plus d’une vraie passion à la fois dans le cœur humain, fait dire à Valère, abandonné par une maîtresse qu’il regrette :

..... Et le jeu, quelque jour,
Saura bien m’acquitter des pertes de l’amour.

Voilà la vraie comédie. Au génie près, cela vaut mieux que d’envoyer le pauvre misanthrope mourir d’ennui et de mauvaise humeur dans son château gothique, au fond de la province. C’est le sujet du Joueur. Le premier, si sombre par son essence, finit gaiement. Le misanthrope, qui pouvait être fort gai, car il n’a que des ridicules, finit d’une manière sombre. Voilà la différence de la tendance des deux auteurs ; voilà la différence de la vraie comédie, destinée à égayer des gens occupés, et de celle qui cherchait à amuser des gens méchants sans autre occupation que la médisance. Tels furent les courtisans de Louis XIV.

Nous valons mieux, nous haïssons moins que nos ancêtres ; pourquoi nous traiter comme eux[1] ?

  1. Voir la France de 1620 dans le premier volume des Mémoires de Bassompierre. Les changements politiques ne passent dans les mœurs qu’après cent ans. Voyez la tristesse sombre de Boston.