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LE RIRE

nous égayer ont des mœurs si basses, que je n’admets aucune comparaison d’eux à moi ; je les méprise parfaitement aussitôt qu’ils ont dit quatre phrases. On ne peut plus rien m’apprendre de ridicule sur leur compte.

Un imprimeur de Paris avait fait une tragédie sainte, intitulée : Josué. Il l’imprima avec tout le luxe possible, et l’envoya au célèbre Bodoni, son confrère, à Parme. Quelque temps après, l’imprimeur-auteur fit un voyage en Italie ; il alla voir son ami Bodoni : « Que pensez-vous de ma tragédie de Josué ? — Ah ! que de beautés ! — Il vous semble donc que cet ouvrage me vaudra quelque gloire ? — Ah ! cher ami, il vous immortalise. — Et les caractères, qu’en dites-vous ? — Sublimes et parfaitement soutenus, surtout les majuscules. »

Bodoni, enthousiaste de son art, ne voyait, dans la tragédie de son ami, que la beauté des caractères d’imprimerie. Ce conte me fit rire beaucoup plus qu’il ne le mérite. C’est que je connais l’auteur de Josué et l’estime infiniment ; c’est un homme sage, de bonnes manières et même d’esprit, rempli de talents pour le commerce de la librairie. Enfin, je ne lui vois d’autres défauts qu’un peu de vanité, justement la passion aux dépens de laquelle