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LE RIRE

aurait du succès à foison, n’aurait pas eu peut-être la nuance de vengeance que je croyais remarquer dans le mien.

Comme le ridicule est une grande punition parmi les Français, ils rient souvent par vengeance. Ce rire-là ne fait rien à l’affaire, ne doit pas entrer dans notre analyse ; il fallait seulement le signaler en passant. Tout rire affecté, par cela seul ne signifie rien ; c’est comme l’opinion de l’abbé Morellet en faveur des dîmes et du prieuré de Thimer.

Il n’est personne qui ne connaisse cinq ou six cents excellents contes qui circulent dans la société : l’on rit toujours à cause de la vanité désappointée. Si le conte est fait d’une manière trop prolixe, si le conteur emploie trop de paroles et s’arrête à peindre trop de détails, l’esprit de l’auditeur devine la chute vers laquelle on le conduit trop lentement ; il n’y a plus de rire, parce qu’il n’y a plus d’imprévu.

Si, au contraire, le conteur sabre son histoire et se précipite vers le dénoûment, il n’y a pas rire, parce qu’il n’y a pas l’extrême clarté qu’il faut. Remarquez que très-souvent le narrateur répète deux fois les cinq ou six mots qui font le dénoûment de son histoire ; et, s’il sait son métier, s’il a l’art charmant de n’être ni obscur ni trop clair, la moisson de rire est beaucoup