Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/239

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tant que mari, ne comptait guère. Au delà d’un terme très-court, s’occuper de sa femme eût été une inadvertance. La trouver aimable, l’aimer, eût passé pour ridicule. Se laisser voir assidûment à ses côtés, soit chez elle, soit dans les salons, c’était se donner un brevet de niais ou de fâcheux. Dans ce temps-là, un mari ne montrait de savoir-vivre qu’en disparaissant le plus possible de la compagnie de sa femme et de sa propre maison. Au bout d’assez peu de temps on voyait avec plaisir qu’il prît habitude ailleurs. Les cercles et les clubs n’étant point encore importés chez nous, tout « galant homme », sous peine de ne savoir que faire de ses soirées, devait se constituer le familier d’un salon. La pensée d’une soirée passée chez soi, en tête-à-tête, ne venait jamais à des époux parisiens ; accueillir à son foyer des amis communs n’était pas estimé chose agréable, ou seulement possible.

D’autre part, les maîtresses de maison n’aimaient point à recevoir ensemble mari et femme ; cela glaçait, disait-on, les entretiens. Le bel esprit, le désir de plaire, la coquetterie, la verve, la provocation piquante, tout ce qui fait l’animation et la grâce des conversations parisiennes, s’éteignait dans le commerce insipide de l’habitude conjugale ; il fallait, pour en retrouver le don, aller chacun de son côté dans un salon différent où rien ne rappelait la chaîne du