Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/314

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famille pour leurs doigts de fées, travaillaient à des tapisseries, à des broderies délicates. Dans l’hôtel de la rue Saint-Dominique, non plus qu’au château de Courtalain, il n’était presque jamais question de politique. Les hommes que l’on recevait là étaient du meilleur monde, mais on s’y occupait peu des choses de l’esprit. Le ton de la maison était gai ; les façons étaient simples et sans aucune morgue. Malgré la présence d’une jeune fille, la piété de la jeune baronne de Montmorency et la vertu conjugale fort célébrée de la princesse de Bauffremont, la conversation avait, à la manière d’autrefois, des allures très-lestes ; vide d’idées, pauvre de sentiments, elle se nourrissait d’historiettes et de nouvelles du jour, de modes et d’ajustements ; on y médisait du prochain ; on y riait des maris trompés ; on s’y moquait à l’envi de tout le monde. La vieille comtesse de Matignon n’avait jamais été ni prude ni dévote ; ce n’était pas la mode en émigration, malgré le malheur des temps. Les abbés galants, les évêques mondains avaient été très en faveur, disait-on, auprès de la dame. On en faisait mille récits, les plus drôles du monde[1].

Dans ce salon venaient habituellement le duc de

  1. On prêtait entre autres à la comtesse de Matignon, très-jeune encore, un mot piquant. Une jeune femme de sa société pleurant une disgrâce de l’opinion : « Consolez-vous, ma chère, lui avait dit la comtesse, chez les grandes dames comme nous l’honneur repousse comme les cheveux. »