Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/328

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applaudie. Le morceau terminé, madame Gay, se levant avec fracas, s’avança vers moi, et, de sa voix de théâtre : « Delphine vous a comprise », s’écria-t-elle. On nous regardait. Je restai tout interdite. Delphine, qui s’était approchée doucement, me tendit la main. Elle retint longtemps la mienne dans une affectueuse et forte étreinte.

À partir de ce moment notre amitié se noua. J’avais joué pour elle ; je lui demandai de dire pour moi des vers. Elle récita un fragment de son poëme de Madeleine. Elle disait bien, sans emphase ; son organe était plein et vibrant, son attitude décente, son air noble et sévère. Grande et un peu forte, la tête fièrement attachée sur un cou d’une beauté antique, le profil aquilin, l’œil clair et lumineux, elle avait, dans toute sa personne, un air de sibylle, accoutrée et quelque peu façonnée à la mode du temps. Il y avait en elle une puissance que l’on sentait bonne. On lisait à son front, dans son regard, une ouverture d’âme qui donnait confiance et enhardissait à l’aimer. Je sentis que je l’aimerais. Elle aussi ne retira point ce qu’il y avait de promesses dans sa main serrant la mienne. Nous continuâmes à nous voir, sans particulière intimité, mais toujours avec sympathie. Après notre mariage à toutes deux, nous fûmes, elle et moi, avec la belle duchesse de Gramont, les trois blondes à la mode dans le faubourg Saint-Germain.