Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/61

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ames, et logea celle de la multitude dans une case des limbes, pour ne les leur rendre qu’au jour du jugement.

Ah ! je ne jouirai pas long-temps du bienfait de la mélancolie ! mes nerfs sont bien malades ! je commande à présent ma joie, et la tristesse est devenue l’habitude de mon ame.


SUR LA SENSIBILITÉ.


Quand je lis dans un cercle quelque tragédie ou quelque passage touchant une histoire, mes yeux s’emplissent, et la voix quelquefois me manque. Aussitôt je m’attends aux mêmes effets dans mes auditeurs ; point du tout, au lieu de pleurs, je surprends le souris sur leurs lèvres. Ils se moquent de mon émotion.

Je me suis souvent retiré en pareille occasion, honteux, non de leur insensibilité, mais de moi-même. J’ai plus suspecté ma foiblesse que leur dureté. De la vanité, par laquelle je m’associois en moi-même à la nature des anges, je descendois rapidement dans l’idée humiliante d’être moins qu’un homme. Je doutois de la force de mon intellect, et me