Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raisons pour les défendre, on me demandera si les inconvéniens que les hommes souffrent des abus licencieux de la médisance, ne sont pas suffisamment contrebalancés par son influence utile sur la conduite et les mœurs publiques ? on me dira que, si elle se taisoit, mille personnes encouragées au mal par le silence, se plongeroient, tête baissée, dans la mêlée des vices et des ridicules, comme un cheval dans celle des batailles, pourvu qu’elles fussent sûres d’échapper à la langue des hommes.

On me dira que, si nous voulons jeter un coup-d’œil sur l’ensemble de la société, nous trouverons que la vertu, ou du moins son apparence, ne dérive d’aucun autre principe fixe que de la terreur que nous inspire la censure ; et que si nous descendons de là aux particularités, on prend plus de peine pour usurper une bonne réputation, qu’il n’en faudroit pour la mériter.

Que plusieurs personnes des deux sexes supportent aisément la vie sans honneur et sans chasteté ! elles qui, sans réputation, et sans l’opinion qu’elles s’efforcent de donner aux autres, baisseroient leur tête dans la honte, et languiroient dans le désespoir du bonheur !