la sorte plus heureux que ceux qui en ont, et que l’idée fixe de Jean Lafortune était d’en avoir tôt ou tard, il lui vint un jour à l’esprit de courir le pays.
Il y a eu, de tout temps, de bonnes gens qui se sont imaginés, qu’il suffisait d’avoir quitté le clocher natal pour rencontrer la richesse et le bonheur. Mais hélas ! dès que ce phare de salut cessa de briller à leurs yeux, combien ont pleuré amèrement leur folie, et combien, en butte à toutes les horreurs, à toutes les humiliations de la pauvreté, ont regretté, en mourant sur la terre étrangère, l’humble village qui les vit naître et le coin de terre bénie où reposent les cendres de leurs pères.
J’ai dit tout à l’heure que Jean Lafortune voulait courir le pays. Un beau matin, son parti étant irrévocablement arrêté, il fit son paquet, ce qui ne fut pas long car il ne pesait guère, embrassa sa femme qui pleurait à chaudes larmes et son garçon qui pleurait de voir pleurer sa mère, et leur dit en s’efforçant de ne pas pleurer lui-même : quand j’aurai gagné de quoi nous établir comme le voisin, je reviendrai, mais pas avant. Je veux courir ma chance comme un autre et quelque chose me dit que je réussirai. Dieu merci ! j’ai de bons bras, j’ai bon pied et bon œil. Avant trois ans, je puis gagner de quoi acheter une terre. Le quatrième je travaillerai pour les animaux et le gréement, et le cinquième, tu me verras de retour.
Puis Jean partit. À quatre ou cinq arpents de chez lui, il se retourna avant de gagner un chemin de traverse, pour jeter un dernier regard sur le foyer qu’il abandonnait, et voyant, sur le perron, sa femme et son