Page:Stevenson - Enlevé !.djvu/144

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Il lui était impossible de se rappeler quoi que ce fût d’antérieur à son embarquement.

Tous ses souvenirs se résumaient à ceci, que son père fabriquait des pendules, qu’il y avait au salon un merle qui savait chanter :

Les régions du Nord.

Tout, excepté cela, s’était effacé durant des années de privations et de cruels traitements.

Il avait sur la terre ferme de bizarres idées, ramassées dans les récits des matelots.

C’était un pays où les jeunes garçons étaient réduits en une sorte d’esclavage appelé un métier, et où les apprentis étaient continuellement fustigés et enfermés dans d’horribles cachots.

Il croyait que, dans toute ville, un habitant sur deux était un filou, qu’une maison sur trois était un endroit où les marins étaient empoisonnés et assassinés.

Sans doute je pouvais lui dire avec quelle bonté j’avais été traité sur cette terre ferme qui l’épouvantait à ce point, lui dire que j’avais été bien nourri et instruit avec soin tant par mes amis que par mes parents.

Lorsqu’il venait de recevoir un mauvais coup, il pleurait amèrement et jurait de s’échapper, mais s’il se trouvait dans ses dispositions ordinaires d’écervelé, ou plus encore s’il avait pu attraper un verre d’eau-de-vie dans la dunette, il se moquait de cette idée.

C’était M. Riach (que le ciel lui pardonne) qui faisait boire le gamin, et cela avec les meilleures intentions, mais outre qu’il lui détruisait la santé, c’était la chose la plus pitoyable du monde que de voir cette malheureuse créature sans amis chancelant, dansant et bavardant sans comprendre ce qu’elle disait.