Page:Stevenson - Enlevé !.djvu/355

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la bouche, mais mon compagnon savait fort bien ce qu’il faisait, et si naïf qu’il fût en certain détail de la vie, il avait plus d’un tour dans son sac pour de pareilles circonstances.

— Vous n’avez pas besoin de me le dire, fit-elle enfin, vous êtes des gentilshommes.

— Bien ! fit Alan un peu radouci (malgré lui, je pense) par ce commentaire sans art… Et supposons que nous en soyons, avez-vous jamais entendu dire que d’être noble, cela mette de l’argent dans les poches.

À ces mots, elle soupira, comme si elle était, elle-même, une grande dame déshéritée :

— Non, dit-elle, cela n’est que trop vrai.

J’aurais ragé intérieurement du rôle que je jouais, d’être assis, la langue liée, partagé entre la confusion et l’envie de rire ; mais de toute façon je ne pus y tenir davantage, et je dis à Alan de me laisser, que je me trouvais mieux.

Les mots s’arrêtaient dans ma gorge, car j’ai toujours détesté de prendre part à des mensonges, mais mon embarras même contribua au succès du complot, car la jeune fille ne manqua pas d’attribuer l’enrouement de ma voix à la maladie et à la fatigue.

— N’a-t-il pas d’amis ? demanda-t-elle, la voix pleine de larmes.

— Oh ! si, il en a, s’écria Alan, si nous pouvions seulement le leur amener. Des amis, et de riches amis, des lits pour y coucher, de la nourriture à manger, et des docteurs pour le visiter ! Et cependant le voilà réduit à marcher péniblement dans la boue et à dormir dans la bruyère, comme un mendiant.

— Et pourquoi cela ? demanda la jeune fille.

— Ma chère enfant, je ne puis pas vous le dire tout à fait sans danger, mais au lieu de cela, je pourrai me