Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/103

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s’avança vers la palissade, jeta sa béquille en avant, puis s’éleva sur les poignets et franchit l’obstacle avec une vigueur et une agilité surprenantes.

Je dois l’avouer : ce qui se passait m’intéressait à tel point que je ne songeai même plus à mes devoirs de sentinelle ; j’abandonnai ma meurtrière, je m’avançai sur la pointe du pied derrière le capitaine, qui s’était assis sur le seuil ; le menton dans ses mains et les yeux fixés sur l’eau qui sortait en bouillonnant du chaudron enterré dans le sable, il sifflotait un air populaire. Silver avait beaucoup de peine à escalader le flanc du monticule. Gêné par la raideur de la pente, les moignons d’arbres dont le sol était semé et le sol mouvant qui s’éboulait sous lui, il était aussi empêché, avec sa béquille, qu’un navire à sec. Mais il s’acharnait en silence et finit par arriver devant le capitaine, qu’il salua le plus courtoisement du monde.

Il avait fait toilette pour cette entrevue : un immense habit bleu couvert de boutons de cuivre lui pendait jusqu’aux genoux et un beau chapeau galonné était posé en arrière sur sa tête.

« Vous voilà, mon garçon, dit le capitaine. Asseyez-vous, puisque vous êtes fatigué.

— N’allez-vous pas me permette d’entrer, capitaine ? demanda John d’un ton de reproche. Il fait un peu froid ce matin pour rester dehors, assis sur le sable.

— Silver, répondit le capitaine, il ne tenait qu’à vous d’être chaudement assis, à cette heure, près de vos fourneaux… Ou vous êtes le cuisinier de mon navire, et je crois faire un peu plus que je ne dois en vous autorisant à vous asseoir devant moi, — ou vous êtes le capitaine Silver, rebelle et pirate, et alors vous savez bien que vous n’avez droit qu’à la potence.

— N’en parlons plus, capitaine, reprit Silver en s’installant. Il faudra m’aider à me relever, voilà tout… Mais savez-vous que vous êtes fort bien ici ?… Et voilà Jim !… Docteur, je vous présente mes devoirs… Je vois avec plaisir que vous êtes tous comme chez vous…

— Si vous avez vraiment quelque chose de sérieux à dire, mon garçon, mieux vaudrait y arriver, fit le capitaine.

— Très juste, capitaine, très juste. Le devoir avant tout… Eh bien, donc, vous avez eu une fière idée, la nuit dernière, capitaine : ce n’est pas moi qui le nierai. C’était une fière idée. Il y en a un parmi vous qui n’est pas manchot… Et je ne nierai pas non plus que quelques-uns des miens ont été ébranlés par cette affaire… Peut-être tous l’ont-ils été, ébranlés… Peut-être ai-je été ébranlé moi-même… peut-être est-ce la raison qui m’amène ici pour négocier… Mais, capitaine, croyez-moi : cela n’arrivera pas deux fois !… S’il le faut, nous saurons monter la garde et laisser porter d’un point ou deux sur le rhum !… Vous croyez sans doute que nous étions tous