Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sible pour moi, — immobile, son avant tourné vers le Sud. Il dérivait alors, bien entendu. Bientôt son avant portait à l’Ouest, ses voiles se remplissaient à demi et le ramenaient en un moment droit sous le vent. Et le résultat était qu’il s’enfuyait devant moi au moment où je pouvais me croire sur le point de l’atteindre.

Mais enfin je crus avoir trouvé l’instant favorable. La brise était à peu près tombée pendant quelques secondes ; le courant faisant tourner l’Hispaniola sur elle-même, elle me présenta sa poupe, avec la fenêtre grande ouverte, et la lampe toujours allumée au-dessus de la table, en plein jour. La grande voile tombait le long du mât comme un drapeau. Sauf pour le lent mouvement de progression que lui imprimait le courant, le navire semblait être à l’ancre. Je redoublai d’efforts pour le rejoindre, et je n’en étais pas à cent mètres quand un souffle de brise arriva, tomba dans les voiles par bâbord, et le fit repartir en rasant l’eau comme une hirondelle.

Mon premier mouvement fut le désespoir. Le second fut la joie du triomphe. L’Hispaniola virait et me présentai le flanc ; elle virait encore et revenait sur moi ; elle franchissait la moitié, puis les deux tiers, puis les trois quarts de la distance qui nous séparait. Elle allait m’atteindre. Je voyais les vagues bouillonnant toutes blanches sous sa proue. D’en bas, dans ma pirogue, elle me paraissait effroyablement haute.

Et tout d’un coup je mesurai l’étendue du péril. Mais j’eus à peine le temps de penser, à peine le temps d’agir pour y échapper. J’étais sur le sommet d’une lame quand le schooner plongea son avant dans la plus proche. Son beaupré s’allongeait au-dessus de ma tête. Je me dressai debout et je pris mon élan en repoussant la pirogue sous mes pieds. D’une main je saisis le bâton de foc, tandis que mes jambes, pendues dans le vide, cherchaient et finissaient par trouver aussi un appui sur les barbes de beaupré. Et comme je restais accroché à l’avant, presque sans haleine, un coup sourd m’annonça que le schooner avait frappé et coulé la pirogue. Je restais sur l’Hispaniola, sans retraite possible.


XXV

J’ABATS LE DRAPEAU NOIR.


J’avais à peine réussi à me hisser à califourchon sur le beaupré, quand le grand foc se remplit de vent et, se tendant d’un coup sec comme une détonation, nous emporta vers le Nord. Le schooner fré-