Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/140

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de-vie, quartiers de porc salé, sacs de biscuits, étaient à leur place, comme avant mon départ. Mais ce qui me glaça d’horreur fut de n’apercevoir aucune trace de prisonnier. Mes amis avaient donc tous péri, jusqu’au dernier !… Et je n’étais pas là pour me battre à leurs côtés !…

Il n’y avait que six hommes. Pas un autre ne survivait. Cinq d’entre eux s’étaient levés, la figure rouge et gonflée, sortis en sursaut du lourd sommeil de l’ivrogne. Le sixième, resté couché, se levait sur son coude. Il était d’une pâleur mortelle et sa tête était entourée d’un bandage taché de sang. Je me souvins de l’homme qui avait été blessé à l’assaut et qui s’était enfui dans le bois ; je ne doutais pas que ce ne fût lui.

Le perroquet avait enfin cessé de crier et lissait ses plumes sur l’épaule de son maître. Il me sembla que Silver était plus pâle et plus sérieux qu’à l’ordinaire. Il portait encore l’habit de drap sous lequel il était venu parlementer : mais cet habit était déjà déchiré, couvert de boue et de taches.

« Eh donc ! c’est Jim Hawkins qui vient nous faire une petite visite ! dit-il en me reconnaissant. Que le diable m’emporte si je t’attendais !… Mais grand merci de la politesse, tout de même !… »

Il s’assit sur le tonneau d’eau-de-vie et se mit à bourrer sa pipe.

« Approche la torche, Dick, reprit-il.

Et quand il eut allumé son tabac :

« C’est bien, merci… Fixe le tison dans ce tas de bois. Et vous, Messieurs, ne vous gênez pas : inutile de rester debout pour M. Hawkins ; il vous excusera sûrement… Eh donc, Jim, c’est bien toi en chair et en os ?… L’aimable surprise pour ton vieil ami ! Je savais bien que tu étais un finaud. Je te l’ai dit la première fois que je t’ai vu. Mais ceci, je l’avoue, passe mes prévisions… »

Je ne soufflais mot, on peut le supposer, et je restais immobile, le dos collé au mur, comme on m’avait placé, regardant Silver bien en face et sans montrer de faiblesse, — je l’espère au moins, — mais avec un affreux désespoir au cœur.

Silver tira une ou deux bouffées de sa pipe, avec le plus grand calme, puis il reprit :

« Puisque tu es ici, Jim, j’en profiterai pour te parler franchement. J’ai toujours eu de l’affection pour toi, garçon, car tu es mon portrait vivant, de l’époque où j’étais jeune et beau ; j’ai toujours souhaité te voir avec nous, afin que tu prennes ta part du magot et que tu puisses mourir un jour dans la peau d’un gentleman. Or, te voilà ici, mon poulet. Ne perds pas cette occasion. Le capitaine Smollett est un marin de vieille roche, ce n’est pas moi qui dirai le contraire, mais un peu dur sur la discipline, un peu dur… « Le devoir avant tout », il ne sort pas de là. Et il n’a pas tort. Fais attention au capitaine,