Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/159

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Sans le traité conclu avec le docteur, les rebelles, privés des magasins du navire, eussent probablement été déjà réduits à boire de l’eau et à vivre du produit de leur chasse. Or, l’eau était peu de leur goût, et le matelot est rarement bon tireur ; sans compter que, s’ils manquaient de vivres, il était peu probable qu’ils fussent bien approvisionnés de poudre. Tout cela rendait encore plus obscure pour moi la décision prise par mes amis.

Nous marchions donc tous ensemble, même l’homme à la tête cassée, qui aurait assurément mieux fait de rester à l’ombre, et nous arrivâmes ainsi, en file indienne, à la grève où se trouvaient les deux chaloupes. Là aussi, les marques de la folie de ces gens étaient visibles. L’une des embarcations avait ses bancs cassés ; toutes deux étaient à demi pleines d’eau et de boue.

Il était convenu que nous les emmènerions avec nous pour plus de sûreté. La bande se partagea donc en deux et, nous embarquant dans les chaloupes, nous mîmes le cap sur le fond de la baie.

Comme nous avancions, on commença de discuter sur la carte. La croix rouge était naturellement une indication beaucoup trop vague pour pouvoir nous mener droit au but ; quant à la note inscrite au revers, elle n’était pas non plus sans obscurité. On se rappelle qu’elle disait :

« Grand arbre sur la croupe de la Longue-Vue, un point au N. de N.-E.-E.

« Île du Squelette E.-S.-E. par E.

« Dix pieds. »

Un grand arbre était donc le repère principal. Or, droit devant nous, la baie se trouvait bornée par un plateau de deux à trois cents pieds de haut, qui rejoignait au Nord la croupe méridionale de la Longue-Vue et se relevait au Sud pour former l’éminence abrupte du Mât-de-Misaine. Ce plateau était couvert de pins de toute grandeur. De loin en loin, il y en avait un d’espèce différente, qui s’élevait à trente ou quarante pieds au-dessus des autres ; mais lequel de ces géants était le « grand arbre » du capitaine Flint ? C’est une question qu’on pourrait seulement trancher sur le lieu même et à l’aide de la boussole. Mais cela n’empêchait pas chaque homme d’avoir choisi un favori parmi les arbres, avant même que nous fussions à moitié chemin. Seul, John Silver haussait les épaules et leur disait d’attendre au moins d’être arrivés.

Nous ramions lentement par ordre de Silver, afin de ne pas nous harasser avant d’aborder. Aussi fûmes-nous assez longtemps à prendre terre près de l’embouchure du second cours d’eau, celui qui descend le long d’une vallée ombreuse formée par deux contreforts de la Longue-Vue. De là, tournant à gauche, nous commençâmes à monter la pente vers le plateau.