Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/166

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Cette remarque fit simplement hausser les épaules aux vieux.

— Qui s’inquiéterait de Ben Gunn ? dit George Merry. Mort ou vif, c’est tout un. »

Le courage leur revenait à vue d’œil et déjà toutes les figures reprenaient leur couleur ordinaire. En quelques secondes, ils se furent remis à bavarder, quoique s’arrêtant de temps à autre pour écouter. Bientôt, n’entendant plus aucun bruit, ils prirent leurs outils et toute la bande repartit, Merry en tête, la boussole en main pour rester en ligne droite avec l’île du Squelette. Il avait dit vrai : personne ne s’inquiétait de Ben Gunn ; mort ou vif, c’était tout un… Seul, Dick tenait encore sa Bible et jetait autour de lui des regards effarés. Mais il ne trouvait aucune sympathie chez ses camarades, et Silver le plaisanta même sur ses précautions.

« Je t’avais bien averti que tu gâchais ta Bible, lui dit-il en ricanant. Puisqu’elle n’est même plus bonne pour prêter serment, que diable veux-tu qu’en pense un esprit ?… Il s’en moque comme de ça !… »

Et il s’arrêta sur sa béquille, pour faire claquer ses gros doigts.

Mais Dick ne voulait pas être consolé. Je m’aperçus bientôt que le malheureux avait peine à se tenir sur ses jambes. Activée par la chaleur, la fatigue et l’épouvante, la fièvre, annoncée par le docteur Livesey, s’emparait manifestement de lui. Heureusement pour le pauvre diable, il faisait bon marcher sur ce plateau découvert et tapissé de mousses, où les pins, grands et petits, poussaient loin les uns des autres, mêlés à des bouquets d’azalées et de canneliers. Poussant droit au Nord-Ouest, nous nous rapprochions de plus en plus de la croupe de la Longue-Vue ; à notre gauche, ma vue s’étendait maintenant sur cette baie orientale où, la veille au matin, je m’étais éveillé tremblant et secoué dans la pirogue.

Le premier des grands arbres atteint, on releva sa position et l’on reconnut que ce n’était pas le bon. Il en fut de même du second. Le troisième s’élevait à plus de deux cents pieds de haut sur un taillis épais : c’était un véritable géant du règne végétal, qui dressait dans les airs son énorme colonne rougeâtre, surmontée d’un parasol à l’ombre duquel un bataillon aurait manœuvré à l’aise. Il devait se voir de loin, aussi bien de l’Est que de l’Ouest, en pleine mer, et il aurait certes pu être marqué sur la carte comme point de repère.

Mais ce n’était pas sa hauteur qui impressionnait le plus vivement mes compagnons : c’était la pensée que sept cent mille livres en or se trouvaient quelque part enterrées sous sa grande ombre. Cette pensée finissait par leur faire oublier toutes leurs terreurs. À mesure qu’ils se rapprochaient du but, je voyais leurs yeux s’animer, leur pas devenir plus léger et plus élastique. Silver lui-même sautillait plus vivement sur sa béquille, en grommelant contre les