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vrines dont nous étions armés, longue pièce de neuf en cuivre, il me prit à partie :

« Holà, moussaillon, n’as-tu rien à faire, que tu restes là à bâiller aux corneilles ? Fais-moi le plaisir de débarrasser le plancher et d’aller demander du travail au cuisinier… »

Et, comme je détalais sans demander mon reste, je l’entendis qui disait au docteur :

« Je ne veux pas de favoris sur mon navire !… »

J’étais déjà de l’avis du squire sur le capitaine, et je le détestais cordialement.


X

LE VOYAGE.


La nuit se passa à mettre tout en place. À chaque instant, il arrivait de pleins bateaux d’amis du squire. M. Blandly et autres venaient lui dire adieu, lui souhaiter bon voyage et bon retour. Ce n’étaient que bouteilles à déboucher, verres à rincer. Je ne me souviens pas d’avoir jamais eu, à l’Amiral-Benbow, autant de travail et de fatigue.

Un peu avant le point du jour, le maître d’équipage prit son fifre, et les hommes commencèrent à pousser les barres du cabestan. J’aurais été cent fois plus las que je n’aurais pas donné ma place sur le pont dans cette occasion mémorable. Tout était pour moi si nouveau et si intéressant : le ton bref des commandements, la note aiguë du sifflet, les hommes se bousculant pour prendre place à la lueur des fanaux, ou s’agitant sur l’avant comme des ombres.

« John, chante-nous quelque chose ! cria une voix.

— La vieille chanson ! dit une autre.

— Volontiers, camarades, » répondit John Silver, qui était là, appuyé sur sa béquille.

Et aussitôt il entonna l’air et les paroles que je connaissais si bien :

Ils étaient quinze matelots
Sur le coffre du mort ;
Quinze loups, quinze matelots…

Et l’équipage répétait en chœur :

Yo-ho-ho ! Yo-ho-ho !
Qui voulaient la bouteille !

Au troisième ho !… le cabestan se mit à virer, et les hommes à courir en poussant les barres avec une force irrésistible.