Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des provisions, armes et munitions, qui se trouvait à bord, nous les jetâmes à l’eau, par deux brasses de fond. Je vois encore l’éclat bleuâtre de l’acier, brillant sous les eaux sur un lit de sable jaune.

La marée descendait, et le schooner commençait à virer lentement autour de son ancre. On entendait des appels lointains dans la direction des chaloupes, et quoique cela nous rassurât sur le compte de Joyce et de Hunter, qui se trouvaient plus à l’Est, c’était un avertissement de nous hâter. Redruth abandonna donc son poste dans la coursive et rejoignit le squire et moi dans le canot, que nous amenâmes alors à l’échelle de tribord pour être plus à portée d’embarquer le capitaine. Jusqu’à cette dernière minute, en effet, il avait monté la garde sur le pont. Au moment de descendre, il s’adressa à ceux de l’avant, d’une voix haute et ferme :

« Hé ! les hommes, dit-il, m’entendez-vous ?…

Il n’eut pas de réponse.

« Abraham Gray, reprit-il, c’est à vous que je parle !

Toujours pas de réponse.

« Gray, répéta M. Smollett, je quitte le navire et je vous ordonne de suivre votre capitaine !… Je sais que vous êtes un brave garçon, et qu’aucun de vous n’est aussi mauvais qu’il veut le paraître… J’ai ma montre en main, Gray, et je vous donne trente secondes pour me rejoindre… »

Il y eut un silence.

« Allons, mon garçon, dit encore le capitaine, ne nous tenez pas ainsi le bec dans l’eau… Chaque seconde de retard met en danger la vie de ces messieurs !… »

Là-dessus, une sorte de tumulte sourd, un bruit de lutte ; puis Abraham Gray bondit hors de l’écoutille, un coup de couteau dans la joue, et courut à son chef comme un bon chien à l’appel de son maître.

« Je suis avec vous, capitaine, » dit-il.

Un instant après il nous avait rejoints tous deux dans le canot, et nous faisions force de rames. Nous étions sains et saufs hors du schooner, mais point encore à l’abri dans le blockhaus.